domingo, 20 de noviembre de 2016

Aux âmes bien nées...

Le 9 août 1998, au lit de malade dans une chambre à Bangassou, terrassé par le paludisme qui ne chôme jamais dans cette partie de la planète, je reçus la communion des mains d’un jeune prêtre. Il s’appelait Dieudonné Nzapalainga. Il venait tout juste d’être ordonné ce jour par Mgr Maannicus dans l’esplanade de la cathédrale, avec deux autres jeunes, Modoué et Mbonzima. Des milliers de personnes avaient assisté à la messe et moi, qui pourtant avais aidé à préparer les chants, j’avais raté le grand événement.
Aujourd’hui, 18 ans après, Nzapalainga est devenu cardinal de l’Eglise catholique. Avec 49 ans, il est, de fait, le plus jeune cardinal du collège. Aussi pourrait-on dire à propos de ce fils de Bangassou ce que Pierre Corneille dit à propos de Rodrigue : « Aux âmes bien ainées, la valeur n’attend point le nombre des années ».

A continuation, je publie le texte-témoignage de Mgr Juan José Aguirre, évêque de Bangassou (traduit de l'espagnol par moi-même) Gaétan.

Mgr Dieudonné, la référence de Bangui.


Le 19 novembre, Mgr Dieudonné Nzapalainga, spiritain de 49 ans, deviendra le plus jeune cardinal de tout le collège. Après 3 ans à la tête de l’archidiocèse de Bangui depuis 2009 comme administrateur, il en devint archevêque le 12 mai 2012 des mains du cardinal Filoni. Cela fait exactement 4 ans. Aujourd’hui, il est nommé cardinal d’après la liste rendue publique par le Pape pendant l’Angelus du 9 octobre. Il s’agit ici d’une carrière fulgurante pour un homme dont la valeur n’est plus à démontrer.
Il y a toujours quelque chose qui impressionne du visage de celui que tu viens de rencontrer : cheveux crépus, mâchoire crispée, gestes inconscients, menton prolongé etc. Pour Mgr Nzapalainga, c’est, sans doute, son visage ovale et son rire aux éclats qui touchent le plus. Dès que tu le salues, c’est ce qui te frappe en premier lieu. Sa spontanée voix de stentor ou alors son rire sarcastique, sceptique, blagueur mais toujours accueillant constituent certainement le secret de sa personnalité. Cet homme quelque peu rondouillard et débonnaire est né le 14 mars 1967 à Bangassou. Cinquième dans une famille de 14 enfants, il fréquenta notre petit séminaire, puis le moyen séminaire. Après, il décida d’entrer dans la congrégation de Pères du Saint Esprit (les spiritains). Il me disait, il y a quelques jours, qu’il ne serait rien sans l’éducation reçue de Bangassou. Inutile d’ajouter que Bangassou se sent très honoré par cette nomination.
J’ai encore en mémoire la journée du 9 août 1998 quand il fut ordonné prêtre dans la tribune de la cathédrale de Bangassou. Je venais d’être ordonné évêque coadjuteur quelques mois auparavant et j’étais au côté de l’évêque titulaire, Mgr Maannicus, spiritain aussi, pendant la cérémonie. Je lui ai imposé les mains en second lieu. Je ne pourrai jamais oublié la réaction de sa mère en ce moment : Elle s’est mise à esquisser de manière excessive une de ses danses africaines où on mélange le rythme des pieds avec le cris de joie provoqué par le complexe mouvement de la gorge et la bouche frappé doucement par les doigts joints, produisant une sorte de sons de type uh uh uh…. Sa mère était comblée. Protestante de l’Eglise baptiste, c’était une femme impressionnante, le genre de grandes mamans derrière chaque grand homme.
Il commença son ministère sacerdotal à Marseille dans un centre spiritain des jeunes. Cependant, à 42 ans, il était déjà candidat pour diriger le diocèse de Bangui alors en profonde crise. Pendant 3 ans, il fut  administrateur apostolique d’un diocèse en faillite technique annoncée qu’il a su soulever, diriger, conduire et soigner. A partir de ce moment, il n’avait plus peur de se jeter dans l’eau ! Rien à voir avec le pasteur qui regarde la corruption et la violence du haut de sa véranda !
L’arrivée des terribles seleka, musulmans radicalisés qui déferlèrent sur le pays mettant tout sens dessus dessous, voulant imposer les dictats islamiques pendant 9 mois nous a tous pris au dépourvu. C’était en mars 2013 quand l’enfer endiablé a failli se renfermer sur nous. Quelles ne furent la violence déversée et l’amertume encaissée ! Nous avons déjà raconté cet épisode dans d’autres articles. Vers la fin de 2013, une autre rébellion, pire que celle des seleka, les anti-balaka cette fois-ci nous tomba dessus comme une massue. Un certain 5 décembre, je me suis caché dans un quartier musulman pendant 24 heures et Mgr Nzapalainga réussit à convaincre les troupes de l’ONU de venir me chercher. Il m’accueillit chez lui et là, je rencontrai l’Iman de la Mosquée de Bangui, Kobina Layama, réfugié, lui aussi, au sein de l’évêché depuis plusieurs mois étant donné que sa tête avait été mise à pris. En effet, lui et l’archevêque ainsi qu’un pasteur protestant avaient décidé de crier à tous ceux qui voulaient les entendre qu’avec la paix, on gagne tout tandis que sans elle, on perd tout ! C’est ainsi qu’était née la plateforme interreligieuse pour la paix qui prêche depuis lors la tolérance, le pardon et le respect.
A partir de ce jour, la ville de Bangui (et en quelque sorte le reste du pays) se divisa en deux : les musulmans d’un côté et les non musulmans de l’autre. Quelles ne furent des scènes d’horreur et de crimes contre l’humanité !
Mgr Dieudonné n’a pas contemplé sans rien faire : Puisant dans sa spiritualité spiritaine, il n’a cessé de crier haut et fort que tous les musulmans centrafricains ne sont pas seleka et qu’en conséquence, rien ne justifiait la vengeance aveugle contre eux. Sans relâche, il a lutté pour la paix, prêché pour la concorde et la tolérance exposant souvent sa vie. Comme il fallait s’y attendre il a reçu indistinctement les applaudissements et les insultes mais sans jamais lâcher du lest ou perdre son habituel sourire. Il fut un pilier de fer dans une maison en plein effondrement. Il est vrai que nous tous, évêques de Centrafrique, avons lutté pour maintenir la cohésion sociale. Mais, lui s’y est employé à fond ! La paix se nourrit du dialogue et cela n’est possible qu’en abandonnant les armes. Il n’a cessé de montrer qu’il n’y a pas d’armes plus efficaces que s’asseoir et parler.
Même s’il a toujours gardé son éclat de rire, il a aussi eu des moments de trouille. Vous vous rappelez sans doute de l’avenue Koudoukou à Bangui qui divise la communauté musulmane des autres communautés jusqu’au terrible kilomètre 5 (PK5). Avant l’arrivée du Pape François en Centrafrique, le 29-30 novembre de l’année passée, ce lieu était une fourmilière avec des tireurs isolés qui empêchaient aux habitants d’un quartier d’aller dans un autre. Juste au milieu de l’avenue, il y a la Mosquée centrale de Bangui, l’unique qui reste des 23 mosquées qui étaient dans la ville. Vous vous rappelez que le Pape est allé là pour demander le pardon et le respect ; qu’il est entré dans la mosquée, s’est déchaussé, a prié, a salué tout le monde et après a invité à l’Imam Tidjani de monter dans la Papamobile. Eh bien, ce fut un geste providentiel. Les jeunes aux lunettes noires et kalachnikov décidèrent de laisser la voie libre et les quartiers purent se retrouver encore une fois grâce au geste du Pape.
Quelques mois après, certains groupes radicaux installèrent une barrière en vue de fermer une fois de plus l’avenue. Mgr Nzapalainga (Dieu sait en Sango) réagit de manière immédiate et organisa une caravane de la paix ; il se positionna au milieu de ces bandes violentes et se mit à parcourir l’avenue, seul et à pied. Les armes s’arrêtèrent une fois de plus et plusieurs personnes se mirent derrière lui, reconnaissant par là son pasteur. L’unique consigne était de ne pas porter les armes. Il pouvait recevoir une balle mais il avait fait un pari et il l’a gagné.
Pendant la cérémonie pour recevoir la barrette de cardinal, le Pape dira qu’elle est rouge, aussi rouge que le sang qu’ils doivent être prêts à verser pour la proclamation de la foi et la paix. Ce jour, Mgr Dieudonné a risqué sa vie avec courage, mais il a réussi à ouvrir une avenue qui était fermée, à faire taire les armes et à faire cesser des scènes de violences inutiles. En cela, il a imité le Pape qui a ouvert les portes de la cathédrale de Bangui une semaine avant celles de Rome pour que la paix revienne et que les haines cessent. C’est à Bangui que commença le jubilée de la miséricorde.
Le mot « cardinal » vient du latin « cardo » et signifie  « charnière ». Les 228 cardinaux dont 121 électeurs (de moins de 80 ans) constituent l’articulation qui permet d’ouvrir les portes et les fenêtres de l’Eglise. Non seulement ils élisent un nouveau pape mais aussi ils sont un signe de paix au milieu de leur peuple. Moi je pense que derrière chaque personne choisie par mérites propres, il y a tout un engrenage de géopolitique qu’il faut analyser minutieusement. Je pense que le Pape n’a pas élu notre pays pour sa visite parce qu’il est simplement au cœur de l’Afrique mais parce qu’il est compté parmi les plus pauvres, sans défense, le maillon plus fragile de la chaîne… lieu privilégié pour servir de passage des islamistes radicaux qui cherchent à pénétrer au cœur de l’Afrique. Je crois que l’argent du pétrole et les islamistes radicaux ont déjà fait l’essai au Soudan mais ils ont été bloqués par les protestants et les catholiques du Soudan du Sud qui se dressèrent comme une digue limitant le phénomène au niveau du Darfour qui fait frontière avec le Tchad.
Le Pape n’a choisi ni le Cameroun ni le Congo Brazzaville ni le Tchad pour réaliser sa visite ; il a préféré la Centrafrique. Il a même déclaré qu’il se serait jeté par parachute si on lui empêchait d’atterrir.  Maintenant, il choisit encore un cardinal centrafricain. J’ose imaginer que la prochaine étape sera de renforcer les diocèses qui touchent aux zones des islamistes en vue de barrer la route à l’horreur et la violation évidente des droits de l’homme qui suivraient l’éventuelle arrivée des criminels de Boko Haram ou Isis au cœur de l’Afrique.
Mgr Juan José Aguirre, Evêque de Bangassou.


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